Les lectrices du comité de Saint-Baldoph et de La Ravoire « au vert » !

Réunies mi-janvier au club house du golf d’Apremont, les lectrices de Saint-Baldoph et de La Ravoir ont débattu. Extraits : 

  • Noces de Jasmin, Feki Hella (Lattès)

J’ai bien aimé l’écriture, chaque chapitre est écrit par un protagoniste (très à la mode). Mais le témoignage de la cellule de prison m’a bien plu qui raconte plus que les jours de Medhi, au moment de la révolution de Jasmin, de décembre 2010 à janvier 2011. Chacun raconte ses espoirs, ses lâchetés, ses amours, son chemin pour arriver là. Se lit bien, mais dur, angoissant et poignant. Je l’ai lu à la suite de Que sur toi se lamente le Tigre, j’ai eu besoin de faire une pause ensuite pour changer d’atmosphère.

Agnès

  • Que sur toi se lamente le Tigre, Émilienne Malfato (Elyzad)

Fort en émotions et évènements, il se lit facilement et à plusieurs voix. Le Tigre est le fil rouge qui raconte ce qu’il a vu au long des siècles. Chaque protagoniste explique pourquoi il va accepter la mort de la jeune fille enceinte hors mariage : par tradition elle et sa mère, par obligation (son frère qui représente le père depuis le décès de celui-ci), par lâcheté (son deuxième frère), par soumission à la loi (sa belle-sœur), parce qu’il est trop petit (son plus jeune frère). La mère reconnaît qu’elle a bâti la même prison autour de sa fille que pour elle, qu’elle justifie son monde en le reconduisant. Seul le médecin lui demande si elle a un endroit où fuir. Mais elle se résigne. Au dernier moment, cependant, elle a un sursaut de peut-être désir de vie. Trop tard.

Agnès

C’est pour moi le livre parfait : rien à enlever, rien à ajouter. Sa fin (ouverte) a suscité un vif débat !

Françoise S.

  • Nezida, Valérie Patureau (Liana Levi)

Je viens de terminer Nezida que je recommande fortement. Quand on ouvre le livre, on est tout de suite happé par cette histoire et sa narration polyphonique.

Marylène

  • Il fait bleu sous les tombes, Caroline Valentiny (Albin Michel)

Alexis, 20 ans, est mort, probablement par suicide, plongeant ses proches dans une souffrance et une culpabilité indicibles. Pour l’heure, il git dans «  l’entre deux », à l’intérieur de sa tombe et essaie de capter les multiples vibrations – bruissements, senteurs, chaleur et surtout sautillements de sa petite sœur Noémie – de la vie qui continue…il ne se souvient pas vraiment pourquoi il se trouve là. Que s’est-il passé ? Il laisse une famille meurtrie ; l’auteure choisit de mettre en lumière la mère, Madeleine, qui broyée par la douleur va partir sur les traces de son fils pour essayer de comprendre ce qui a bien pu pousser son enfant bien aimé à ce geste irrémédiable. Roman de la perte et du deuil, Il fait bleu sous les tombes est un texte délicat soulevant beaucoup de questions et d’émotions, et pourtant dépourvu de pathos. Il est aussi une ode à la vie et à l’amour maternel et filial. Et derrière la douleur et le manque cruel de l’absent, perce une infinie tendresse qui rend ce 1er roman profondément émouvant.

Christiane B.

Après le suicide de son fils Alexis, une mère cherche les causes de cet acte désespéré, et remonte le fil de ses derniers jours. Roman poignant et magnifique, « Il fait bleu sous les tombes » nous plonge au cœur de l’emprise qu’un adulte dépositaire d’une autorité (un enseignant charismatique), peut exercer sur un adolescent. Beaucoup de poésie et de pudeur dans cette écriture, qui nous captive jusqu’à la dernière ligne.

Marylène

  • Mémoire de soie, Adrien Borne (Lattès)

Belle écriture, prometteuse. Comme tous les romans actuels, de nombreux « aller-retour » dans le temps pour la construction du récit… Saga familiale dans la Drome provençale entre deux guerres. Famille de taiseux, non-dits, deuils, et secrets bien gardés. Le silence est roi et doit être comblé. J’ai eu le sentiment que l’on remonte l’histoire comme sur un dévidoir de fil à soie.

Christiane D.

Après un temps pour m’habituer au style de l’auteur et à la construction du roman, j’ai beaucoup aimé Mémoire de soie. Un mystère plane, un secret de famille… Mais dans ce roman, on assiste aussi à toutes les étapes de la production de la soie, depuis les magnaneries jusqu’aux usines de tissage. On découvre les dures conditions de travail des enfants et des femmes auxquels ces taches harassantes étaient confiées. On mesure aussi la rudesse des relations dans les familles : pas de place pour les aspirations individuelles, les sentiments, à cette époque ! Un roman à mettre en parallèle avec Nézida qui traite à peu près des mêmes sujets.

Françoise S.

L’écriture est simple, l’histoire se lit bien. Elle permet un autre regard sur la guerre, ses conséquences, un regard sur la Drôme, la soie au début du XX° siècle. Est-ce lié à l’ambiance non-dits, de solitude, de dureté de la vie, de peur, de mort, de maladie, j’ai remarqué après coup avoir lu ces histoires de vie « en couleur sépia »

Agnès

  • Dans les geôles de Sibérie, Yoann Barbereau (Stock)

Le français Yoann Barbereau est depuis quelques années directeur de l’Alliance française d’Irkoutsk en Sibérie quand un jour de février 2015 des hommes encagoulés (des policiers ?) font irruption chez lui et l’arrêtent ; violenté et torturé, Yoann sans pouvoir se défendre se retrouve en prison. Il est accusé de diffusion d’images pédopornographiques et de viol sur sa propre fille de 5 ans. Au bout d’un long calvaire fait de prison, d’hôpital psychiatrique et de résidence surveillée, il finira par comprendre qu’il est victime d’une sordide machination (« Kompromat » en russe) qui consiste à monter un faux dossier afin de se débarrasser de lui. Après une évasion rocambolesque (en Blablacar !) de Sibérie à Moscou, Y. Barbereau se réfugie à l’ambassade de France, où il n’est pas le bienvenu… il finira par s’évader une seconde fois et passera clandestinement en Estonie. Ce récit hallucinant est d’abord un témoignage, une histoire vraie, racontée par celui qui l’a vécue dans sa chair. Ecrit par un homme de culture aimant profondément la Sibérie, cette histoire se lit comme un roman d’espionnage, et le résultat est formidable ; d’une écriture limpide, sans temps morts, avec une langue ciselée, glaçante lorsqu’elle évoque l’enfer des prisons mais presque lyrique quand sont évoquées la beauté des paysages de Sibérie, la magie du lac Baïkal, la littérature russe qui jalonne tout le récit, l’auteur fait de son histoire un grand livre d’aventure. Et même si à la fin, le mystère demeure entier sur les raisons de son arrestation, on passe un excellent moment de lecture.

Christiane B.

Témoignage poignant. J’ai bien vibré à l’expérience de cet expatrié emprisonné (à tort ?), à ses espoirs, j’ai bien suivi ses questionnements, son cheminement. De son arrestation à son évasion, tout est impressionnant de détails. Je suis d’accord avec le témoignage précédent. Dommage, je n’ai pas accroché à l’écriture qui passe du présent à l’imparfait sans logique apparente)

Agnès

  • Noire précieuse, Asya Djoulaït (Gallimard)

J’ai lu Noire précieuse, que je vous recommande, un souffle d’optimisme, une belle relation entre une mère et sa fille, et une écriture tantôt française, tantôt un mélange de français et d’argot ivoirien. A lire parfois à voix haute !

Françoise F.

Noire précieuse met en scène deux « femmes puissantes », la mère et la fille, issues de la diaspora ivoirienne installée au quartier de la Goutte d’Or à Paris. La première s’est détruit la peau pour la blanchir, la seconde assume sa couleur, et préfère finalement partir à Abidjan pour accompagner des projets de développement, et par là même, freiner l’émigration des ivoiriens. Une femme noire peut-elle épouser un homme blanc ? Comment faire cohabiter deux cultures dans un même pays ? Le milieu bourgeois du Quartier Latin peut-il rencontrer le milieu coloré et pauvre de Barbès ? Dans une langue très colorée, ce petit roman nous interpelle sur des sujets très contemporains. Une réussite

Marylène

J’ai beaucoup aimé regarder grandir Céleste au sein de la communauté chrétienne ivoirienne de la rue du Château-d ’Eau à Paris. Sa mère, Oumou, à la tête d’un commerce prospère de produits de beauté, encourage sa fille à étudier, car elle est sûre que, bien que « gâtée » (disgracieuse), Céleste va devenir un « grand quelqu’un ». Effectivement, Céleste, excellente élève, entre au lycée Henri IV. Ce qui frappe et qui ravit, c’est l’extraordinaire capacité de Céleste à naviguer entre la culture ivoirienne et celle de ses amis blancs, des lycéens de familles bourgeoises, sans jamais renier ses racines. Mais tout ne va pas bien dans les dans les pays « derrière l’eau » : Céleste a des déceptions et, en toile de fond, nous parviennent des échos du sort tragique de migrants. Malgré tout, avec ses dialogues pétillants et ses expressions pittoresques, ce livre est un rayon de soleil et j’ai très envie de rencontrer l’auteur !

Françoise S.

  • Des kilomètres à la ronde, Vinca Van Eecke (Seuil)

J’ai lu Des kilomètres à la ronde de Vinca Van Ecke. J’ai bien aimé ces années de passage de l’adolescence à l’âge adulte à travers cette bande de jeunes de deux horizons complètement différents et l’évolution de leurs relations. Elle, la « bourge » les idéalise, imagine leurs possibles si… Belle histoire sur fond de « banlieue à la campagne » qui raconte le mal être de la jeunesse qui se cherche, cherche, ou pas, à s’en sortir, qui réussit, ou pas, à s’en sortir. Comment se reconstruire après un drame ?

Agnès

  • Louis veut partir, David Fortems (Robert Laffont)

Je viens de finir Louis veut partir, sur le thème du suicide d’un enfant. J’avoue que j’y suis allée à reculons de peur des émotions trop fortes mais trop tentée pour ne pas oser. Je ne le regrette pas. Si l’écriture en elle-même ne m’a pas toujours emballée, la façon d’emmener le lecteur à la suite du père qui cherche à comprendre son fils m’a convaincue ; de l’humour, de la réflexion sans tomber dans le pathologique. Nous croyons connaître l’autre, nous croyons… Comment être passé à côté de tant de ces facettes ?

Agnès

Cette triste histoire, racontée dans un style très (trop ?) familier est celle d’une relation manquée entre un père et son fils. Et pour ce père, découvrir qu’il est passé à côté de pans entiers de la vie de son fils est une lente descente aux enfers et une véritable torture. Implacable.

Christiane B.

  • Elle a menti pour les ailes, Francesca Serra (Anne Carrière)

A l’origine de la disparition de Garance il y a ce déchaînement de haine à son encontre sur les réseaux sociaux… Elle a menti pour les ailes est un thriller d’utilité publique, que chacun devrait lire, parents comme adolescents. A lire absolument !

Marylène

Cette plongée dans le monde des jeunes, du cyber harcèlement qui part de… ? De si peu mais prend si rapidement des proportions que personne ne voit venir ni ne comprend les enjeux. L’auteur fait de nombreuses digressions pour montrer que tous les jeunes ne sont pas scotchés à leur smartphone et aux réseaux sociaux. Elle se lance dans les pages de recherches scientifiques, cosmologiques, écologiques qui trainent en longueur, dommage. Malgré tout, ce livre est à découvrir pour le sujet et le fonctionnement du cyberharcèlement, la montée en puissance du drame qui se joue.

Agnès

  • Le Dit du Mistral, Olivier Mak-Bouchard (Le Tripode)

Belle aventure dans le Luberon entre le narrateur et son voisin « bourru ». Mélange de légendes ancestrales et d’histoires locales. Initiation au provençal. On sent les parfums les couleurs les ocres … Peut être un peu long  !! Le dit du mistral est paru aux éditions Tripode et leur credo est : ouvrir un lieu d’asile aux esprits singuliers. Je comprends les raisons pour lesquelles ce roman a trouvé sa place chez eux !!

Christiane D.

Je suis tout à fait d’accord avec l’avis précédent. C’est un récit étrange, très original, dans lequel par le truchement des rêves du personnage principal, on plonge dans l’univers des contes et légendes de la Provence. On y croise la Chèvre d’or, le loup de Daudet… On respire les senteurs des romans de Bosco et Giono. C’est surprenant et plaisant à lire. Il me semble que l’auteur, en fin de livre a eu du mal à faire regagner la réalité (le plancher des vaches : pour nous, les Savoyard) à son personnage principal !

Françoise S.

  • La langue maudite, Madi Belem (Plon)

Mon préféré ! J’aime bien son style, tout en nuance et jeu de sonorité, pour un non francophone qui plus est, chapeau ! Descriptions sans complaisances du Rabat de son enfance à ses vingt ans, du retour en arrière des libertés, des femmes en premier, de l’expression de tous. Le désespoir de son père, écrivain non lu, devant les universités, librairies qui ferment pour mieux asservir le peuple. Ce Rabat soumis, voilé, bâillonné et surtout hypocrite. La quête de relations, sexuelles à l’adolescence et l’heure de la puberté, amicales quand il arrive à Paris. Il est venu chercher « la Lumière de Paris » tant vantée par son père, son héros, à qui il veut rendre hommage : il lui a promis d’écrire sa vie pour le faire connaître et lire. Il découvre la solitude des parisiens au milieu de la foule, la folie du métro, tous ses gens qui courent après le temps, lui qui vient d’un pays où on prend le temps. Il se rend compte qu’il est capable, lui aussi, de tomber dans le piège des réseaux sociaux. Puis les attentats, l’horreur absolu, la confrontation au racisme, aux questions : qu’est-ce que la religion, les valeurs ? Vibrant hommage à son père, aux femmes, à la vie, malgré tout. Deux cents pages intenses !

Agnès